Le doudou

Elle est assise contre le panier à linge, dans la salle de bain. Elle fixe un carreau de carrelage ébréché sans penser à rien. Ou plutôt, à tout à la fois. Ce qui, probablement, revient au même. Elle respire aussi lentement qu’elle le peut, en inspirant profondément. Elle se concentre sur le morceau de faïence. Il faudrait remplacer ce carreau. Elle se demande si on peut réellement enlever un carreau sans abîmer ceux qui sont autour ? Vraisemblablement pas, ce qui voudrait dire les remplacer tous. Une petite voix aigüe s’élève dans le couloir et la fait sursauter. La poignée s’agite dans le vide. Il y a quelqu’un ? La porte vibre légèrement sous les coups donnés contre la porte. Tu peux me donner mon doudou ? J’ai oublié mon doudou. Elle parcourt l’espace des yeux. Parmi tous les endroits imaginables, il faut forcément que ce soit ici qu’elle ait oublié cet amas de tissu en lambeaux, et c’est nécessairement maintenant qu’elle en a besoin. Maman ? C’est toi ? Elle se lève lentement pour s’approcher du doudou qu’elle attrape sans ménagement. Elle lui secoue la tête en grimaçant en silence : Maman, c’est toi ? Puis elle continue, le visage de plus en plus déformé. Maman, t’es où ? Maman, tu fais quoi ? Maman ! Maman ! Elle croise son reflet dans le miroir tacheté de projections de dentifrice. Et toi, t’es qui ? Les doigts cognent contre le bois. Une pointe d’inquiétude s’immisce dans la petite voix qui tente sa dernière chance : S’il te plaît ? Son visage se détend dans un profond soupire. Elle s’approche de la porte, ferme les yeux une demi seconde avant de la déverrouiller. Dès qu’elle aperçoit le visage potelé de sa fille, un sourire se dessine sur ses lèvres. Elle s’accroupit en lui tendant la poupée de tissu. Tiens, ma louloute chérie, il est là ton doudou. La petite lui pose un bisou sur la joue et repart vers sa chambre en courant.