Ne pas se toucher le visage

Elle sort du local à vélos. Ne pas se toucher le visage, elle l’a bien en tête. Pourtant, c’est au moment où cette pensée lui traverse l’esprit qu’un courant d’air tiède vient lui caresser le visage. Ce qui aurait pu être très agréable, lui complique dangereusement l’existence, car cette légère brise vient plaquer une mèche de cheveux contre sa joue. Elle essaie de faire abstraction de ce vague chatouillement mais il devient rapidement une démangeaison très agaçante. Elle se frotte le bas du visage avec l’épaule, seulement dès qu’elle s’arrête, la mèche de cheveux se remet à frotter sa peau. Elle s’avance un peu en tirant son vélo, pour se mettre à l’abri du vent. Elle réfléchit à ce qu’elle a touché jusqu’à présent, la porte de l’appartement, ses clés qui lui ont servi à presser le bouton d’appel de l’ascenseur et celui d’étage, rien dans la cabine, les clés encore pour appuyer sur le bouton qui ouvre la porte du hall. Ne pas se toucher le visage. Elle a poussé la porte avec son dos. Son trousseau de clés, une nouvelle fois, pour ouvrir le local à vélos, la poignée de la porte avec sa main droite. Elle pourrait donc se gratter avec la gauche. Mais elle croit se souvenir qu’elle s’est appuyée au mur avec cette main quand elle a perdu l’équilibre en tirant son vélo à l’extérieur. Elle ne sait plus. Ça continue à démanger terriblement. Le front, maintenant. L’aile du nez commence à la picoter. Non, c’est trop insupportable. Elle retire son élastique, rassemble ses cheveux en les lissant un long moment. Elle les enroule en un chignon serré qu’elle bloque avec le ruban. Elle attrape le bord de son t-shirt, se penche pour se frotter le visage contre le tissu. C’est un peu mieux. Elle empoigne le guidon et s’installe sur le vélo. Au premier tour de roues, elle se demande si elle ne va pas donner de grands coups de ciseaux dans sa chevelure dès qu’elle sera rentrée.