Sale temps

d’après une idée originale de Fanny Biron

Comment je gagne ma vie, moi, tu peux me le dire ? Pas d’arrêt maladie, pas de chômage partiel, pas de prêt. Rien. Mon fonds de commerce, à moi, ce sont les marchés, les transports en commun, les lieux touristiques, tous les endroits bondés. Je ne peux pas travailler sans proximité, sans promiscuité, même. Je suis plutôt doué, mais là, les conditions sont intenables. Ils me voient tous arriver à trois mètres en ce moment, je ne peux rien faire. Oui, en étant rapide, il y aurait bien le vol à l’arraché, mais j’ai toujours trouvé ça violent. Ça manque de subtilité. Je fais plutôt dans le chirurgical, un portefeuille par ci, un porte-monnaie par là. Les montres, les portables, les bijoux, je n’y touche pas. Mon truc, c’est le liquide. C’est propre, concret, pas besoin d’intermédiaire. Déjà, je peux te dire qu’avec les cartes bleues, les paiements en ligne et toutes ces conneries de numérisation, le rendement avait commencé à diminuer sérieusement. Mais là, rien de rien, je n’aurais jamais pensé connaître un truc pareil. Alors oui, il y en a qui trouvent des solutions. Ils sont jeunes, ils savent s’adapter. Je les vois, partir en camionnettes, ils se rabattent sur les usines désertées, les petits bureaux vides, dans l’espoir de ramener trois imprimantes. Et ils les refourguent à qui ? Non, ça ne me dit rien. Heureusement, je peux tenir encore un peu. J’avais quand même prévu de quoi au cas où. J’ai quelques billets bien planqués à différents endroits dans l’appartement. Seulement, c’est un peu de ma retraite qui s’envole en fumée. C’est vrai, ça fait un moment que je pense à m’arrêter. Je deviens lent et dans mon genre d’activité, ça ne pardonne pas. J’ai pas tellement envie de finir le temps qui me reste enfermé entre quatre murs. Tu vois ce que je veux dire.