Vertige

Il se penche à la fenêtre. Il s’y résout rarement car la hauteur lui donne le vertige, mais ce matin, le besoin de prendre l’air est plus fort. Il se cramponne des deux mains au chambranle et ferme les yeux pour sentir les rayons du soleil lui caresser le visage. On n’entend que le chant des oiseaux qui couvre le ronronnement des quelques voitures qu’il distingue en arrière plan. Il respire profondément. Il apprécie ce moment autant qu’il le peut, pourtant, il sent ses mains se crisper sur le rebord de fenêtre. Ses doigts le font souffrir. Il ouvre les yeux, sans bouger. Il est à une bonne quarantaine de mètres au dessus du sol. Il le sait mais tente désespérément de l’oublier en regardant le plus loin possible devant lui. Il a une vue qui s’étend sur toute la ville. C’est inespéré. Il s’attache à détailler la silhouette de chaque immeuble, sans laisser son regard descendre trop dangereusement. Seulement, quand une moto surgit du fond du boulevard en pétaradant, il ne peut pas s’empêcher de la chercher des yeux. Il la suit lorsqu’elle s’avance vers le pied de la tour, pour la dépasser dans le virage et disparaître dans un effroyable bruit de tondeuse à gazon. Son regard glisse sur la rue. Quand il aperçoit le crâne d’une femme qui s’avance sur le trottoir vers l’arrêt de bus, il a un haut le cœur. Il rentre brusquement et se colle dos contre le mur du salon. Une sueur glaciale coule le long de sa colonne vertébrale. Il se laisse glisser sur le sol, tremblant de tous ses membres. Il ne panique pas, il sait que dans quelques minutes, ce sera passé. Il sourit. Lui qui trouvait ses journées monotones, il a eu sa dose de sensations fortes pour aujourd’hui.