Insondable

Il faudrait y plonger le bras tout entier et on n’en toucherait pourtant pas le fond. On rechignerait à y passer l’épaule, trop d’engagement. Il faudrait sans doute prendre un semblant de recul, un pas ou deux. Puis s’armant de patience, laisser filer un fil à plomb, centimètre par centimètre jusqu’à sentir un vague choc qui installerait du mou dans la corde, indiquant sans ambiguïté que l’on a butté sur du concret, enfin ! Tout ne serait pas réglé pour autant. Car, quand bien même, ce moment tant attendu se déciderait à arriver, on aurait immanquablement à s’interroger sur la stratégie à adopter pour aborder sereinement l’étape suivante. On sait déjà que l’on aurait l’air malin à connaître la profondeur sans avoir estimé la largeur – si on admet que l’on fait face à une sorte de puits et non pas de terrier informe – et que l’on serait bien en peine de se décider à se dire si oui ou non, on tenterait bien de reboucher ce vide, sans en savoir davantage. Admettons que l’on soit joueur et que l’on s’amuse à se décider à l’aveuglette. Eh bien, une fois la décision prise et en cas d’affirmative, il serait impératif de se poser la question du « avec quoi ? », qui peut sembler anodine si on la regarde de loin, mais qui a une importance capitale quand on sait un peu de quoi on parle. On ne remplit pas un vide avec n’importe quoi, à la va-vite, comme s’il s’agissait d’une simple formalité. Une fois rempli, le vide le reste et on n’a pas l’intention d’y revenir tous les quatre matins. Ou alors si on a du temps à perdre, à la rigueur. Mais qui encore aujourd’hui, à du temps à perdre ? Qui ne court pas après ? Non, vraiment, à part quelque excentrique, je ne vois pas qui aurait l’idée de se lancer dans une telle entreprise sans en mesurer les conséquences a priori. Je dirais donc, et j’insisterais sur ce point, qu’avant toute prise de décision, que l’on ait évalué ou non l’espace qu’occupe le vide, il est indispensable d’avoir en tête les ressources dont on dispose pour pouvoir le combler, convenablement. Non pas de manière définitive, je n’aime pas ces concepts péremptoires, mais au minimum, en ayant envisagé un comblement pérenne. Ceci-dit, quitte à me faire quelques ennemis dans le milieu, j’estime que tous les vides ne se ressemblent pas. Il est donc préférable d’être prudent avant de se lancer, et d’apprendre à repérer ceux que rien ne saura jamais satisfaire et dans lesquels il y aura toujours des vides dans le vide, quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse. Il me semble que ceux-là, méritent d’être pris pour ce qu’ils sont, des vides vides. Rien d’extravagant, seulement des vides dont on ne verra jamais le bout. Et là, peut-être, le mieux serait de ne pas y toucher, d’admettre que tous les manques ne sont pas bons à combler, et que dans de telles circonstances, de la parcimonie ferait l’affaire. On pourrait, par exemple, venir s’y blottir de temps à autre, rien de plus. Le contempler comme on admire un ciel étoilé, à la rigueur. Ne rien y laisser trainer. L’aimer pour ce qu’il est. Une absence.