Il s’avance vers moi lentement, un sourire grave dans les yeux que je ne lui connais pas. Il m’inquiète, oui, mais je ne m’en fais pas. Je le laisse venir, persuadée que l’expression de son visage va s’adoucir à mesure qu’il approche, que ses bras vont s’ouvrir afin de m’accueillir et m’attirer contre lui. Tendrement, évidemment. Je crois encore qu’il me laissera le loisir d’écouter son cœur battre dans sa poitrine, me reposer à son rythme si familier, dont je connais le moindre hoquet, et que je reconnaîtrais entre mille. Rien ne laisse présager qu’au moment d’arriver à ma hauteur, il va tendre le bras vers mon sein pour y plonger la main, transperçant la chair à la façon d’un couteau qui s’enfonce dans une motte de beurre ramolli. La douleur est vertigineuse. Je voudrais fermer les yeux pour tout oublier et les rouvrir aussitôt loin de lui, mais je n’y parviens pas. Je reste captive de ses gestes. Je le vois, retirer sa main ensanglantée de mon corps, sur laquelle gît mon cœur encore chaud. Je le vois, le serrer entre ses doigts pour étouffer ses derniers soubresauts. Je le vois, passer du sourire aux larmes. Il se tient là, devant moi, mon cœur dans la main, indécis. Soudain, il ne pleure plus. Il replie son bras jusque derrière sa tête, comme le ferait un athlète avec un poids qu’il s’apprête à lancer. Puis d’un geste rapide et précis, il jette l’organe exsangue aussi loin que ses forces le lui permettent. Satisfait, il laisse son bras retomber lourdement. La douleur est infinie. Je crie, infiniment.
Sans doute, il me faudra du temps. Oui, sans doute. Du temps. Mais je ferai taire un jour ces hurlements devenus plainte blême, pour m’en aller jusqu’à ce loin, récupérer mon cœur parmi les orties dans lesquels il aura atterri.