Suffisances

Je n’ai rien contre le sport. Je n’ai rien pour non plus, en réalité. Disons que je n’ai pas d’a priori. Je comprends que l’activité physique soit une nécessité pour toutes sortes de bonnes raisons. Si tu insistes, je suis tout à fait prêt à admettre que je ne suis pas contre en faire de temps à autres, sous différentes formes. D’ailleurs, dès que cela m’est possible, je marche. C’est mon truc, la marche. Je ne dis pas qu’à mon niveau, on puisse parler de sport, loin de là, mais qu’au moins on me reconnaisse un minimum d’efforts. Vraiment, je n’ai rien contre le sport. Seulement, je trouve incroyable que l’on en soit arrivé à dépenser des fortunes en tenues qui n’ont rien de particulièrement seyantes, pour aller se remuer ici ou là, histoire de continuer à s’empiffrer de tout un tas de cochonneries matin, midi et soir, le nez dans nos écrans, sans finir par ressembler à des dindons. Quand on y réfléchit, c’est le monde à l’envers. Alors si on pense aux artères qui se bouchent, aux foies qui s’affolent et aux taux de sucre qui crèvent les plafonds, on finit par s’y perdre. Courir oui, mais lever le pied sur le coup de fourchette, ce ne serait pas du luxe non plus. On y gagnerait à tous les niveaux, il me semble. Ce n’est rien qu’un peu de bon sens. Et puis tu ne peux pas nier que ces grands discours sur les hommes que l’on ne parviendra plus à nourrir un jour où l’autre, ont deux poids, deux mesures. Aujourd’hui déjà, entre ceux qui meurent de trop manger et ceux qui meurent de manque de nourriture, il y a un vrai scandale. Alors on va mettre des pesticides ici, pour nourrir ceux-là, mais on va exporter là-bas pour ceux-ci, sans rien laisser aux autres que de vagues miettes insipides. On va donner du carton-pâte à manger à ton bifteck, que l’on aura fait engraisser dans un dé à coudre avant de lui faire traverser l’atlantique dans un container frigorifique et tu vas trouver ça super, parce que tu l’auras payé trois francs six sous. Je n’insiste pas sur le coût environnemental, déforestation, biodiversité aux abois… Mais vous comprenez, on n’a pas le choix. Vraiment ? Alors tu m’expliqueras comment dans tout ça, il y en a eu pour décider de faire pousser du blé dans un bunker, sous des néons de lumière rose, en vue de trouver quels produits chimiques ils pourraient bien ajouter dans un pain qu’ils s’imaginent pétrir sur mars. Tu me diras comment l’un de leur but avouer, au-delà de produire quelque chose d’à peu près mangeable, ce qui est un minimum, peut-être d’avoir leur logo sur ta huche à pain martienne. Tu me raconteras dans quel monde ils vivent ! Et je te demanderais s’ils ont déjà envoyé deux trois navettes bourrées d’uranium sur mars, histoire d’y faire pousser les centrales qui leur permettront d’y brancher leurs néons à blé, leurs filtres à eau et à air, leurs pétrins à additifs, leurs fours à je ne sais quoi. Non, vraiment, parce que là, ce serait carrément l’univers à l’envers.