Il y a des jours

sur les phrases de Chris Raffin, Et il arriva ce qui devait arriver et Le ciel était couleur de plomb.

Et il arriva ce qui devait arriver. Elle bascula en arrière sans rien trouver à quoi se raccrocher. Elle sentit l’air se dérober sous son corps et les grands moulinets qu’elle y dessinait avec les bras ne firent que confirmer qu’elle venait de se jeter dans le vide. Quand des images commencèrent à défiler devant ses yeux, elle pensa que ce fameux moment, le dernier, était arrivé. Seulement, au lieu de sa vie, elle ne revécut qu’un déroulement chaotique de sa journée. Elle ne pouvait pas dire qu’elle avait très bien commencé. Dès le réveil, elle s’était pris les pieds dans un pan de la couette qui traînait sur le parquet. Elle ne savait quel réflexe l’avait poussée en avant dans un pas de danse digne de Fred Astaire, qu’elle était parvenue à poursuivre jusqu’au couloir, tête en avant. Il s’en était fallu de peu que son front n’aille cogner contre la poignée de la porte, mais par chance, celle-ci était suffisamment ouverte pour lui éviter le pire. Elle avait été particulièrement attentive au moment de préparer son petit déjeuner. Elle était spécialiste des taches de fruits, de miel, et évidemment de café et cette première mésaventure l’avait alertée. Le début de matinée s’était ainsi déroulé sans encombre jusqu’au moment de quitter l’appartement. L’écharpe qu’elle avait hésité à prendre, se demandant si elle en aurait réellement besoin, ouvrant la fenêtre pour sentir le temps qu’il faisait, décidant que oui, la glissant alors autour de son cou avant de décréter qu’il faisait trop chaud, cette écharpe s’était retrouvée pendante sur son épaule jusqu’à toucher le sol. Sans surprise, l’écharpe avait glissé et elle s’était accrochée dedans après quelques pas dans le couloir. A nouveau emportée par un élan désordonné, elle avait été heureuse de venir se cogner dans l’affreuse rambarde qui courait le long de l’escalier, et de pouvoir s’y cramponner. Une fois son équilibre retrouvé, elle avait pensé à faire demi-tour. Elle sourit au souvenir de ces quelques secondes de tergiversation qui l’avaient conduite ici plutôt qu’au fond de son lit, un livre à la main avec une tisane posée sur la table de chevet. Un courant d’air frais souffla à son oreille, elle se sentit étonnamment légère. Les images se remirent à affluer. Elle avait finalement décidé de prendre la route, ne voulant pas céder à de vagues prémonitions. Elle avait voulu se conformer au plan qu’elle avait imaginé pour ce dimanche. Il lui avait fallu plus de temps que d’ordinaire pour faire le trajet car elle avait tenu à prendre les petites routes afin d’éviter les grands axes de circulation surchargés. Il lui semblait plus prudent d’éviter au maximum de se confronter à d’autres conducteurs. Une fois arrivée, elle avait longé la côte par le sentier, se félicitant finalement d’avoir apporté cette écharpe qui la protégeait d’une brise piquante. La chaleur des derniers jours s’était dissipée dans des pluies capricieuses, rendant les lumières changeantes. La mer se soulevait régulièrement dans une respiration agitée. Perdue dans ses pensées, elle avait été saisie de trouver le chemin barré par trois chiens haletants. Elle n’avait pas pu retenir un frisson qui s’était rapidement transformé en tremblement. Les chiens n’avaient pas esquissé le moindre mouvement, seules leurs langues pendantes étaient secouées par leurs souffles saccadés, pourtant, elle avait reculé. Elle avait alors entendu un aboiement sec dans son dos. Elle s’était retournée brusquement face à un quatrième animal, petit, nerveux, au regard plus dur que celui des autres. Elle avait tenté de se dominer, imaginant qu’ils n’étaient pas seuls et que quelqu’un allait surgir d’une minute à l’autre pour la sortir d’embarras, mais elle avait senti la panique l’envahir. Elle s’était alors répété ce que l’on dit toujours dans ces cas là, ne leur montre pas ta peur, ne leur montre pas ta peur… Tout en reculant, un pas après l’autre, sortant du sentier, passant la bordure, piétinant la dune. Elle avait reculé… Et…
Elle crut se souvenir que la marée était haute. Elle croisa les doigts imperceptiblement et se concentra sur ce qui l’entourait. L’atmosphère s’était chargée d’humidité. Les nuages s’accumulaient au dessus d’elle dans un étrange présage. Le ciel était couleur de plomb.