Advienne que pourra

Tu connais ça, le poids qui reste sur le cœur, prenant ses aises bien malgré soi, la poitrine cadenassée, la tristesse noire assombrissant le paysage, quoi qu’il fasse. On retient ses larmes ou elles ne viennent pas, on ne sait plus très bien qui décide dans tout ça. Il faut avancer malgré tout, c’est ce que l’on se dit, parce que c’est certainement la meilleure chose à faire, pense-t-on. Aller de l’avant, tracer sa route, passer son chemin. On avance donc, cahin-caha, jusqu’à ce moment où, bêtement, profitant d’un moment d’inattention, le pied butte sur un caillou. Trois fois rien, mais qui suffit à nous faire perdre l’équilibre. On bat des bras dans le vide, sans trop y croire, et pourtant à force de s’agiter, de se démener, on parvient à se rétablir. On a eu chaud.

Là, vaguement sonné, on est tenté de s’asseoir sur le bord de la route, histoire de reprendre son souffle. C’est à ce moment, probablement, soulagé mais secoué, la tête ailleurs donc, qu’on se laisse aller, qu’on les laisse aller, toutes les larmes de notre corps, comme on dit, toutes, sans exception. Et c’est là, peut-être, qu’est le vrai courage, car on doit bien l’admettre, on ignore combien elle peut en contenir, cette fichue carcasse. Alors on pleure, on pleure sans trop savoir où ça va nous mener. Au bout de quoi ? Jusqu’à quand ? On pleure et on se désespère, un temps. Mais comme on n’est pas né de la dernière pluie, on a quand même cette vague idée derrière la tête de ce rayon de soleil qui perce soudain le ciel trop bas et vient sécher nos yeux. On sait apprécier l’éclaircie. Détrempé, on se lève en s’ébrouant vivement. C’est agréable. On regarde notre pied, on le pardonne. Ceci fait, on repart, délesté du pire et advienne que pourra.

Les dessins publiés sur cette page sont réalisés à partir de mots obtenus aléatoirement. Vous pouvez également m’envoyer une liste de 5 mots par mail à l’adresse mb@traitpourtrait.org, en indiquant votre prénom et votre nom.

Un point c’est tout

Un point tracé au loin, comme un but à atteindre. Un peu myope, les yeux embués de larmes, on le voit vibrer d’une palpitation incertaine. On doute alors d’y parvenir jamais. Pourtant, on se concentre fort, pour tenir la ligne que l’on croit tracée entre lui et nous. Et on remonte le fil, la pente, on suit les rails. Et quoi ? Sans que l’on sache, ou au contraire sachant très bien d’où il sort, un imbécile vient nous faire un croche-pied, puis nous suit en ricanant pendant qu’on essaie tant bien que mal de reprendre son équilibre pour ne pas s’affaler au sol, la tête la première. Sombre idiot qui nous dépasse et se rabat en queue de poisson en nous toisant avec un aplomb invraisemblable. Là, on s’arrête et on le dévisage, sidéré par le rire cruel qui lui secoue tout le corps.

On n’a jamais trouvé ça très poli, mais on se dit soudain, à part soi, quand il faut, il faut. Alors un peu remonté, prenant le temps de préparer son coup, on rumine en silence et le moment venu, quand il ne s’y attend plus, on rassemble toute sa colère pour lui cracher à la figure. Un feu d’artifice postillonnant qui le laisse interdit. On n’en est pas très fier, mais quand même, on admet que ça soulage. Alors quand il s’éloigne, penaud, le point tracé au loin redevient paysage et sans que l’on sache très bien pourquoi, on se remet en route.

Insondable

Il faudrait y plonger le bras tout entier et on n’en toucherait pourtant pas le fond. On rechignerait à y passer l’épaule, trop d’engagement. Il faudrait sans doute prendre un semblant de recul, un pas ou deux. Puis s’armant de patience, laisser filer un fil à plomb, centimètre par centimètre jusqu’à sentir un vague choc qui installerait du mou dans la corde, indiquant sans ambiguïté que l’on a butté sur du concret, enfin ! Tout ne serait pas réglé pour autant. Car, quand bien même, ce moment tant attendu se déciderait à arriver, on aurait immanquablement à s’interroger sur la stratégie à adopter pour aborder sereinement l’étape suivante. On sait déjà que l’on aurait l’air malin à connaître la profondeur sans avoir estimé la largeur – si on admet que l’on fait face à une sorte de puits et non pas de terrier informe – et que l’on serait bien en peine de se décider à se dire si oui ou non, on tenterait bien de reboucher ce vide, sans en savoir davantage. Admettons que l’on soit joueur et que l’on s’amuse à se décider à l’aveuglette. Eh bien, une fois la décision prise et en cas d’affirmative, il serait impératif de se poser la question du « avec quoi ? », qui peut sembler anodine si on la regarde de loin, mais qui a une importance capitale quand on sait un peu de quoi on parle. On ne remplit pas un vide avec n’importe quoi, à la va-vite, comme s’il s’agissait d’une simple formalité. Une fois rempli, le vide le reste et on n’a pas l’intention d’y revenir tous les quatre matins. Ou alors si on a du temps à perdre, à la rigueur. Mais qui encore aujourd’hui, à du temps à perdre ? Qui ne court pas après ? Non, vraiment, à part quelque excentrique, je ne vois pas qui aurait l’idée de se lancer dans une telle entreprise sans en mesurer les conséquences a priori. Je dirais donc, et j’insisterais sur ce point, qu’avant toute prise de décision, que l’on ait évalué ou non l’espace qu’occupe le vide, il est indispensable d’avoir en tête les ressources dont on dispose pour pouvoir le combler, convenablement. Non pas de manière définitive, je n’aime pas ces concepts péremptoires, mais au minimum, en ayant envisagé un comblement pérenne. Ceci-dit, quitte à me faire quelques ennemis dans le milieu, j’estime que tous les vides ne se ressemblent pas. Il est donc préférable d’être prudent avant de se lancer, et d’apprendre à repérer ceux que rien ne saura jamais satisfaire et dans lesquels il y aura toujours des vides dans le vide, quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse. Il me semble que ceux-là, méritent d’être pris pour ce qu’ils sont, des vides vides. Rien d’extravagant, seulement des vides dont on ne verra jamais le bout. Et là, peut-être, le mieux serait de ne pas y toucher, d’admettre que tous les manques ne sont pas bons à combler, et que dans de telles circonstances, de la parcimonie ferait l’affaire. On pourrait, par exemple, venir s’y blottir de temps à autre, rien de plus. Le contempler comme on admire un ciel étoilé, à la rigueur. Ne rien y laisser trainer. L’aimer pour ce qu’il est. Une absence.