Je ne me souviens pas de ce qui me pousse à me pencher par la fenêtre du quatorzième étage. Il n’y a peut-être aucune raison particulière si ce n’est le besoin de prendre un peu l’air. Après coup, on pourrait pourtant imaginer que ce sont ces sortes d’échos de sonar si caractéristiques qui m’ont attirée. Seulement, j’ignore si c’est possible car je ne m’y connais pas assez et dans le doute, je préfère ne pas répandre d’ineptie. Quand j’aperçois cette masse immense échouée sur le trottoir, à moins d’un mètre des poubelles, je reconnais immédiatement la baleine à bosse que j’ai vue sauter hors de l’eau quelques heures plus tôt dans une vidéo qui m’alertait, à juste titre, sur la dégradation préoccupante de l’état des océans.
Tandis que je m’inquiète de voir l’animal côtoyer des détritus éparpillés à proximité des containers, je prends conscience de ses efforts pour s’élever dans un saut désespéré. Le sol ne lui offre malheureusement pas le ressort nécessaire et le cétacé s’abat avec lourdeur sur le bitume, alors que je l’avais vu survoler les flots avec tant de grâce si peu de temps auparavant.
Cela m’amène soudain à réaliser que ma baleine à bosse n’est pas du tout dans son élément et qu’elle risque d’en mourir. Sans tenir compte une seule seconde des quarantes tonnes que certains spécimens peuvent atteindre, je m’interroge sur les moyens de la secourir pour envisager sérieusement des solutions qui me permettraient de la transporter jusqu’au fleuve coulant à deux pas de là. Cela me semble une chance à saisir car c’est ce que l’on pourrait appeler une autoroute pour l’océan. Le seul point qui m’arrête concernant ce plan, c’est un doute colossal sur les chances de survie en eau douce d’une baleine. Oui, on est parfois aveuglé par des questions accessoires.
Je dois avouer que ça me navre, mais quand je rentre la tête dans l’appartement, je me sens soulagée. Loin des yeux, loin du cœur, je dois être forte et reprendre le cours de mon existence. Il est trop tard, que voulez-vous ?, comme dit mon oncle. Seulement, vous êtes comme moi, vous n’êtes pas dupes, n’est-ce pas ? Vous l’entendez.