Les bassines

Alors que la lumière qui danse à travers la vitre ne semble pas vouloir faiblir, j’agite lentement la brosse sur mes dents, penchée sur le lavabo de la salle de bain en évitant soigneusement mon reflet dans le miroir. Peu importe la taille de la pièce, peu importe la taille de l’appartement dans lequel elle se trouve, peu importe qu’il soit grand ou petit, que j’en sois propriétaire ou locataire. Il suffit de savoir qu’il est en béton. Des murs lisses et épais. Peinture blanche. Perché au dernier étage d’un immeuble qui s’étire nonchalamment vers le ciel, en surplombant ses voisins de quelques mètres, laissant la vue dégagée sur la majeure partie des toits de la ville. Vivre en hauteur me convient mieux, pourtant rien dans ce moment ne serait différent si j’habitais le rez-de-chaussée.

Il fait une chaleur étouffante et mes pieds brûlants supportent mal le contact du linoléum. Tandis que je me rince la bouche, l’image de ma grand-mère, assise à l’ombre d’un vieux chêne me revient en mémoire. Ses pieds trempent dans l’eau salée débordant d’une bassine délavée, pour éclabousser le sable couvrant les abords de sa maison de bord de mer. Elle se penche sur ses chevilles, qu’elle asperge de temps à autre, retenant la serviette de toilette jetée sur son épaule.

Je la vois, et soudain, je m’imagine sortant d’une maison basse, pieds nus dans le sable, ou l’herbe, peu importe, des tongs et une serviette coincées sous le bras, une bassine à la main remplie d’eau fraîche dans laquelle je pourrai dans un instant glisser mes orteils, satisfaite de ce rituel.

Je repose la brosse à dents dans un verre et quitte la salle de bain. Prête à me résigner, remplaçant le sable par le faux parquet en plastique et l’ombre d’un arbre par les volets tirés à demi sur le canapé du salon, renonçant au souffle d’une brise même chargée de chaleur, je réalise qu’aucune des bassines, qu’aucun seau à ma disposition ne sont suffisamment grands pour contenir mes pieds sans que je sois obligée de les contorsionner, me retrouvant dans une position particulièrement inconfortable. Alors, je revois ma grand-mère avec sur les lèvres ce même sourire qu’elle offrait à chaque photographie. Et soudain, je me demande ce que sont devenues ses bassines.