Flop sur Sèvres

sur une contrainte hors cadres de Chris Pellerin: un texte avec des onomatopées

Pouic, pouic… Il traverse le café désert d’un pas lent et mal assuré. Le patron se penche pour apercevoir le ciel à travers la vitrine. C’est étrange, il est d’un bleu sans nuages. Comment se fait-il que ce type soit trempé des pieds à la tête, comme s’il avait marché sous une pluie torrentielle ? Splash ! Les coudes sur le comptoir, l’homme regarde le cafetier, l’air absent.
– Je vous sers quelque chose ?
– Trois grands verres d’eau gazeuse, s’il vous plaît.
Le patron le regarde de travers, en farfouillant sous son bar.
– Je vous mets une bouteille, ça fera l’affaire.
Aaatcha !
Le type vide ses poches, qui dégoulinent d’eau, à la recherche d’un paquet de mouchoirs en papier qui se désagrègent, quand il tente maladroitement d’en extraire un.
– Vous êtes dans un bel état ! Bougez pas, je vais vous chercher un morceau d’essuie-tout.
Le patron disparaît quelques minutes dans l’arrière salle, pour en revenir avec un rouleau de papier, une pile de torchons propres et une paire de tongs. Il s’avance dans la salle pour tout déposer sur une table.
– Séchez-vous avant d’attraper la crève.
L’homme s’approche en le remerciant. Il se sèche d’abord les cheveux, puis tamponne tant bien que mal ses vêtements après avoir retiré ses chaussures, qu’il va maintenant poser à l’extérieur du bar, sur le carrelage d’une petite terrasse exposée plein sud. Clap clap clap. Il revient vers le comptoir.
– Alors, qu’est-ce qui vous est arrivé ?
L’homme hausse les épaules, en avalant d’un trait un premier verre d’eau. Il réprime une grimace, semblant avoir oublié qu’elle est gazeuse.
– Oh, une histoire bête. Je descendais la Sèvre en canoë. Vous voyez, le temps est magnifique, j’ai ce truc gonflable qu’on m’a prêté il y a 3 semaines, que je dois rendre bientôt. Ce serait dommage de ne pas… Blablabla… Enfin bref, ce matin, je me décide. Je vous passe les détails, mais ça n’a déjà pas été simple de gonfler ce truc. Donc, on descend la Sèvre, tout va bien, le paysage est superbe. Il y tout de même ce Pchiiiit, qui me soucie. Seulement, j’ai tout vérifié plusieurs fois, alors je ne vois pas d’où ça peut venir. Je fais abstraction. Pourtant, au bout d’une demi-heure, je ne suis pas dupe, je sens bien que les boudins se sont ramollis. Je commence à m’inquiéter sérieusement. Alors, on se dirige vers la berge, pour que je puisse tenter d’y remédier. Mais là, flap flap, on déloge une famille de canards. Sous le coup de la surprise, j’ai un mouvement malheureux. Je me lance en arrière, je bascule et forcément… Voilà le résultat ! Aaaatcha. Désolé…
– Ben mon vieux, c’est pas de chance. Mais ce sont les risques du métier, non ?
L’homme avale son second vers d’eau, moins rapidement que le précédent. Il se contente cette fois de petites goulées. A peine terminé, il le remplit à nouveau, puis se dirige vers l’entrée du café.
– Dites ! Vous allez où comme ça ?
Il se retourne, la main sur le battant de la porte. Il esquisse un sourire.
– Celui-ci est pour mon chien.
Wouaf !