Rien ne me fait plus peur que d’être prise pour une idiote. Cela peut sembler une drôle d’idée, quand on y pense. Elle me tient pourtant depuis si longtemps que j’ai fini par en oublier l’origine. J’en éprouve tant d’appréhension, que je m’applique avec un acharnement quasiment maladif, à éviter de me trouver dans une situation susceptible de me mener à une telle déconvenue. Néanmoins, malgré cette ténacité, j’ai parfois l’impression désagréable que l’on peut trop facilement encore, me faire prendre des vessies pour des lanternes. Me berner, si l’on veut. M’aveugler, moi qui lève pourtant le menton avec morgue, chaque fois que me vient l’envie de donner mon avis sur un sujet quelconque, imbue que je suis du sentiment de n’être dupe de rien à force de constamment me préparer au pire. Oui, je le sais, je le sens, je ne peux pas me croire à l’abri, formellement. Il reste un risque indéniable. Cela pourrait paraître absurde quand on pense à l’énergie que je mets à m’en défendre. Mais la vie n’est-elle pas ainsi, inconséquente ?
Alors quoi ? Il pourrait arriver que l’on veuille me faire prendre des vessies pour des lanternes. Du moins, c’est la conclusion que j’en tirerais. Seulement, un doute diamétralement opposé pourrait me saisir à ce moment. Et dans ce cas, comment trancher ? Veut-on vraiment me faire croire que les vessies sont des lanternes, ou le pense-t-on bel et bien ? De bonne foi. Est-ce moi qui prends alors les lanternes pour des vessies ou bien le sont-elles réellement et l’erreur devient alors humaine, impossible à imputer au compte de quiconque. Pourquoi d’ailleurs, voudrait-on me tromper ? Pourquoi me prendrait-on pour une idiote ? Dans quel but ? Et quand bien même ? Quel mal à cela, à être idiote ? Ne faudrait-il pas simplement, accepter de penser idiotement, de temps en temps. Ce serait se prendre moins au sérieux, peut-être. Ou encore se moquer du qu’en pensera-t-on, en s’émancipant de cette idée qu’on lui doit la vérité, à cet autre, qui se croyant plus malin, se plairait à croire que l’on n’a pas la lumière à tous les étages.