Les épaules remontées dans le cou, les coudes rentrés, collés au corps, les poings serrés si fort dans les poches que les ongles entaillent la peau jusqu’au sang, on avance dans le brouillard sans se soucier de se trouver un but. C’est vivre à l’étroit, ça, on le sent bien. Une vie trop petite pour soi, c’est quand même pas de veine, est-on tenté de penser. Et pourquoi nous, précisément, parmi quantité d’autres ? Agacé par tant de fatalité, on se débat de temps en temps. On hausse le ton, comme on l’a vu faire par plus bruyant que soi. On croit déplacer des montagnes, pourtant quand on accepte de prendre un soupçon de recul, on voit que ce ne sont que quelques tempêtes dans un verre d’eau saumâtre. Imbuvable. Alors on doute, prêt à se résigner. L’étroit, c’est déjà ça. Le trop petit, c’est quand même mieux que rien. On capitule, en somme, devant l’adversité.
Ce serait compter sans cette petite voix haut perchée qui va, qui vient, comme bon lui semble. Alors comme ça, on accepte l’étriqué à cause d’un palais trop délicat !, s’indignerait-elle, fort à propos. C’est pathétique !, insisterait-elle, péremptoire. Sûrement, pour la faire taire, on boirait l’eau, le verre et les tempêtes, sans rechigner. On hésiterait sans doute, mais certainement, on finirait par engouffrer les montagnes d’un trait. On serait sonné, et ce serait la moindre des choses. Il est essentiel d’en convenir. Néanmoins, ce qui importerait davantage à ce point de l’aventure, ce serait de regarder vers dedans, pour une fois, pour constater, du soleil dans les yeux, qu’on y a gagné un paysage infini. De quoi se sentir à son aise, quoi que l’on fasse, où que l’on soit.