Le domino des pommes

Sur le modèle du magnifique Domino des coccinelles édité par Nathan à la fin des années 60, je me suis amusée à réaliser ce Domino des pommes à imprimer chez soi. Vous obtiendrez vos 28 dominos en téléchargeant et en imprimant ce document pdf :

Voici de quoi réaliser une pochette pour ranger vos cartes. Une feuille A5 un peu épaisse, un cutter ou une paire de ciseaux, de la colle, un peu de patience et le tour est joué !

Qu’en dira-t-on

d’après les mots chien – desserrer – éclipser – pauvres – perforer, obtenus aléatoirement

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Julienne n’a que faire de ce que l’on peut penser d’elle. Ça n’a pas toujours été de soit, elle a même été longtemps une fille, puis une femme, à laquelle l’assentiment de son entourage permettait de donner corps. L’aval de ses parents lorsqu’elle prenait une décision, l’acquiescement de ses frères et sœurs, les encouragements de son, de ses amoureux, le sourire approbateur d’une tante, le signe de tête de la boulangère, du poissonnier, lui offraient le squelette sur lequel tenir bon face aux vicissitudes de la vie. Mais toute cette belle architecture avait volé en éclat le jour où elle avait appris que ce chien galeux d’Antoine, pour lequel elle était encore prête à tout, avait mené une double vie. Son monde s’était effondré et elle n’avait su le rebâtir qu’en prenant le chemin opposé à celui qu’elle avait suivi jusque-là, se moquant éperdument après cela, du qu’en dira-t-on.

Le peu de cas que Julienne fait désormais du regard des autres lui fait hausser les épaules et sortir de chez elle sans tarder, alors qu’elle s’est aperçu en mettant ses chaussures que ses chaussettes sont enfilées à l’envers. Les coutures apparentes au niveau des élastiques, passent encore, mais les longs fils de couleur qui s’emmêlent à l’emplacement de motifs devenus illisibles auraient pu la décider à les remettre à l’endroit, sachant qu’elle est attendue pour une réunion qui doit réunir l’ensemble du service. Peu importe, pense-t-elle, oubliant aussitôt ce détail sans importance.

Tandis que Julienne tente vainement de se concentrer sur la voix monocorde de sa collègue qui égrène les lieux communs avec une application écœurante, elle est distraite par une gêne dans les orteils qu’elle ne saurait définir. Elle pencherait pour un picotement, mais hésite à être si catégorique. La cheffe de service prend à son tour la parole, sortant Julienne de sa torpeur. Son ton enjoué rafraîchit l’atmosphère de cette salle de réunion exiguë, où l’abondance de fenêtres oblige à vivre constamment les stores baissés dès qu’apparaît le soleil de printemps. Julienne lève les yeux au ciel quand elle entend les premiers éléments de langage blablatesques propres à sa profession, envahir le discours. Ses orteils se contractent douloureusement. Alors qu’elle se penche sur le bout de ses pieds, son voisin l’observe, curieux. Elle le gratifie d’un sourire crispé, préoccupée par l’évolution du picotement en une sorte de fourmillement qui s’étend à présent à ses plantes de pieds. Pragmatique, Julienne les tapote contre le sol, dans l’espoir d’y relancer la circulation sanguine. L’effet ne ressemble en rien à celui qu’elle avait espéré, bien au contraire. Elle le sent à présent, ce sont ses chaussures qui tout à coup la gênent à un point qu’elle ne saurait décrire. Elles lui tiennent terriblement chaud ! En quelques secondes, la sensation est devenue intolérable, au point que Julienne se précipitent nerveusement sur ses lacets pour les desserrer. Elle soupire, une fois redressée sur sa chaise, soulagée pour un temps. L’accalmie est malheureusement de courte durée et l’impression de chaleur redouble en un instant. Julienne, stupéfaite, se penche à nouveau, pour cette fois, retirer complètement ses chaussures. Elle les fixe longuement, abasourdie, s’étonnant de se sentir si mal dans des chaussures qui jusque-là avaient été si confortables. Serait-ce à cause de ces chaussettes mises à l’envers ? Probablement pas. Le regard médusé que lui lance la cheffe de service alors qu’elle les remet à l’endroit malgré tout, ne la trouble pas. Elle préfère pourtant s’éclipser pour régler cette histoire sans être gênée par le discours qui se poursuit, plus ronronnant que jamais. Julienne, ses chaussures à la main, se déplace lentement dans l’allée de chaises, laissant ses lacets traîner sur le sol. Elle s’excuse d’un murmure répété en passant devant chacun de ses collègues. Quand en sortant de la salle, elle croise le chargé de communication, en retard comme jamais, sa clé USB fichée sur le dessus de l’oreille à la façon d’une cigarette ou d’un crayon de boucher, elle lui sourit, heureuse de rater le début de sa présentation qui n’ira pas sans son lot habituel de cafouillages techniques. Elle se retourne alors vers la salle de réunion, survolant les rangs sans y trouver de regard ami, puis hausse les épaules en murmurant, les pauvres.

Julienne parcourt le long couloir qui la mène jusqu’à son bureau, surprise par la fraîcheur des dalles de lino. Elle prend son temps, profitant de l’agréable sensation que cela lui procure, avant de pousser la porte du réduit dans lequel elle passe de trop longues journées derrière son écran. Jetant ses chaussures au sol en entrant, elle s’affale lourdement sur sa chaise. Les bras croisés sur la poitrine, elle observe distraitement ce qui l’entoure. Quand son regard s’arrête sur ses chaussures, une moue boudeuse se dessine sur son visage. Que faire de ces fichues chaussures ? Décidée à ne pas en rester là, Julienne ouvre les tiroirs de son bureau avec énergie, sans but précis mais soulagée d’être dans l’action. C’est en ouvrant le mince tiroir central, accroché au plateau du bureau, qu’une idée lui vient. Il ne lui faut pas très longtemps pour s’attaquer au cuir aux endroits accessibles. Julienne s’applique, pour que le motif soit le plus régulier possible. Quand elle en a terminé, elle enfile ses chaussures, fière de sa trouvaille, et reprend le chemin de la salle de réunion, le dessus de ses chaussures curieusement perforé.

Les surréalistes inventent le cadavre exquis en 1925, il y a un siècle ! J’ai toujours apprécié ce jeu, autant sous sa forme écrite que sous sa forme graphique. Selon la définition du Dictionnaire abrégé du Surréalisme, « ce jeu de papier plié (…) consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes sans qu’aucune puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes ».

Cela peut sembler contre-intuitif, mais j’ai fait l’essai d’y jouer seule ! J’ai plié trois feuilles, chacune en trois parties égales. J’ai dessiné les premières parties de chaque feuille, que je me suis dépêchée de cacher, pour mieux les oublier. Je les ai laissées de côté au moins une semaine, en m’efforçant de chasser les vagues réminiscences que j’en gardais. Je m’étais laissée quelques indices afin de poursuivre les deuxièmes parties. J’ai donc répété l’opération, jusqu’à achever les trois dessins. Je me suis autorisée à ne travailler certains fonds et la couleur, qu’une fois les feuilles dépliées.

Je vous laisse apprécier le résultat !

Doutez-vous ?

Doutez-vous ? Je me le demande. Doutez-vous, vraiment ? À chaque instant, à tout bout de champ ? Ne sachant jamais assurément si vous êtes sur la bonne voie. Je l’ignore, et à vous voir passer devant moi d’un pas visiblement décidé, tandis que je reste assise sur ce banc, sensiblement flétrie, déjà, je dirais que non. En tout cas, pas à cet instant. Mais comment savoir ? Vous marchez prestement, allant de l’avant, persuadé de vous rendre là où vous êtes attendu, au moins par vous-même si ce n’est par un autre, ou bien par une énième tâche que vous seul saurez accomplir comme il se doit, ou encore par un tournant dans votre vie. Après tout, cela arrive, un tournant dans une vie. Pour autant, sait-on jamais le prévoir ? Je ne saurais le dire. Mais doutez-vous, un tant soit peu du bien fondé de ce pas qui s’enchaîne après l’autre pour vous mener où, en définitive ? Je l’ignore et je vous envie ! J’aime à penser que tout vous est agréable dans ce jardin public que vous traversez, flânant d’un œil, sans perdre votre chemin de l’autre, attentif au fil de votre pensée, que je préfère imaginer d’une clarté sans équivoque, telle que se reflétant sur votre visage d’une placidité déconcertante. Je vous envie. Vous êtes passé, tandis que j’hésite encore. J’aurais pu vous suivre, m’élancer dans vote sillage, me protégeant à l’ombre de vos certitudes. Je n’en fais rien. Je doute. Rester encore ?, me persuadant qu’il est doux de prendre son temps ou bien me tancer ?, car le temps presse, chacun le sait et il ne vaut rien de se voiler la face. J’hésite, je doute. Je vous envie et je vous plains. Vous êtes passé et rien n’a su vous retenir. Je cligne de l’œil, éblouie par un rai de lumière qui se fraie un chemin entre les branchages. Je sais à présent, j’hésite, je doute, mais je reprendrais bien un peu de ce paysage, en attendant.