Elle ouvre les yeux dans l’obscurité. Elle se tourne instinctivement vers le cadran lumineux : 5:30. Comme tous les matins, ces 20 dernières années, quel que soit le jour de la semaine, la saison, elle se réveille précisément à cette heure, sans raison particulière. Mais aujourd’hui, contrairement à son habitude, elle ne se lève pas. Son regard s’habitue doucement à la pénombre. Elle distingue les contours de la grande armoire en bois qui avait appartenu à une tante de son père. A l’intérieur, les piles de vêtements sont bien ordonnées, elle le sait, elle a passé un long moment à tout réorganiser la veille. Elle avait commencé un classement par couleur, pour changer, avant de revenir à un tri plus classique, par type de vêtements. Elle aurait aimé un rangement moins terre à terre, mais il avait le mérite d’être fonctionnel. Dans les deux grands tiroirs en bas, il y a les chaussures d’hiver. Elle essaie de les visualiser, de se souvenir l’ordre dans lequel les paires sont placées. Elle doit faire travailler sa mémoire, sans quoi tout lui échappe. Les bottines noires à gauche, les chaussures confortables pour la marche ensuite… Ses yeux glissent sur la tapisserie, le même accroc, au même endroit, la fait tiquer une nouvelle fois. Elle aurait dû tout arracher il y a bien longtemps pour donner un bon coup de peinture, mais elle n’a jamais su se décider pour la couleur. Elle continue son inspection par la commode. Elle ferait bien de se débarrasser de ces bibelots, ces ramasse-poussière qu’elle ne regarde même plus. Il suffirait de les glisser dans un carton, qu’elle déposerait sur le palier. Le jeune homme d’en face s’en chargerait. Il est gentil, le jeune homme d’en face. Mais pas aujourd’hui. Il faudra attendre. Elle va attendre. La porte de sa chambre est entrouverte. Elle aperçoit le sol du couloir, un pan de mur. Elle imagine le reste de l’appartement. Contrairement à son habitude, elle ne va pas se lever pour faire sa toilette et s’habiller. Elle ne se dirigera pas vers la cuisine pour se préparer un petit déjeuner copieux. Elle n’allumera pas la radio pour écouter cette émission qu’elle aime tant. Elle va attendre, ça ira peut-être mieux demain.