Ailleurs

Elle s’arrête au milieu de la rue. C’était à prévoir, elle est partie depuis seulement dix minutes et il se remet à pleuvoir. Elle scrute le ciel. Les nuages ne sont pas si noirs, elle pourrait prendre le risque de continuer. Elle se souvient pourtant des trombes d’eau qui se sont déversées ce matin, et elle n’aimerait pas devoir courir jusque chez elle sous un tel déluge. Elle attend quelques minutes. Puis, comme elle sent que la pluie ne va pas tarder à forcir, elle décide de faire demi tour, en passant par une ruelle à gauche. Elle ne veut pas refaire le même chemin qu’à l’aller. Elle peste en accélérant le pas, si on ne peut même plus se promener… Elle débouche sur le boulevard. La pluie s’intensifie et tombe en rafales. Quand elle aperçoit l’aubette de bus, elle traverse pour s’y abriter. Elle passe un long moment à scruter le ciel. Elle aime l’odeur du vent humide, mais la grisaille la rend mélancolique. Elle regarde autour d’elle, les immeubles ternes, les trottoirs lessivés. Il faudrait s’inventer ailleurs. Elle s’imagine sur une plage. Elle marche les pieds nus sur le sable si chaud qu’il brûlerait presque. Les mouettes virevoltent au dessus d’elle. Elle entend leurs cris familiers. Elle s’avance vers l’océan. Le premier contact avec l’eau la surprend, tellement elle est fraîche. Elle avance le long du rivage sans fin. Ce qui est curieux, c’est que la plage est déserte. On pourrait penser qu’elle aimerait croiser quelques personnes, mais non, elle se voit seule. Elle se penche pour ramasser quelques cailloux, un coquillage jaune et un morceau de verre dépoli. Elle les sert dans sa paume. Quand le bus s’arrête devant elle, et que la porte centrale s’ouvre, elle regarde le chauffeur à travers la vitre, hébétée. Elle lui montre la pluie d’un signe de tête. Il semble comprendre et reprend sa route, en esquissant un vague sourire. Elle regarde son poing serré. Elle aimerait tellement être ailleurs.