De visu

Allô ? Oui ? Allô, allô ! Ah, t’es là, je te vois. Comment ? Je te vois, mais je ne t’entends pas bien ? Je dis : je te vois mais je ne t’entends pas bien. Non, pas bien. Et toi ? Tu me vois ? Oui ? Ah, très bien. Et tu m’entends ? Comment ? Oui, bon. Je t’entends très mal, mais tu as bonne mine. C’est pratique, hein. Je dis, c’est pratique, de pouvoir s’appeler comme ça, de se voir. Comment ? Non, ça va. Je dis : ça va. Hum hum. Oui. Oui. Oh, tu sais, rien de spécial, la routine. Enfin, façon de parler. C’est mieux, là, non, je t’entends mieux. Je dis… Oui. Oui. Ah ! C’est agaçant, maintenant, je t’entends très bien, par contre tu es toute floue. Bon, ce n’est pas grave. Non, non. Je sors le moins possible, évidemment. Si, si, ce matin, ça faisait dix jours. Tu te rends compte, dix jours sans mettre le pied dehors. Eh oui, vous avez de la chance ! Oui, il faisait un temps magnifique, la rue était déserte. On n’entendait que le chant des oiseaux. C’était incroyable. Je suis allée jusqu’à l’épicerie. Oui, celle du quartier. J’y vais tellement rarement que je m’y suis perdue. J’ai déambulé d’un rayon à l’autre en revenant sans arrêt sur mes pas. Non, je crois surtout que je ne pouvais plus m’arrêter, ça faisait si longtemps que je n’avais pas marché pour aller ailleurs que d’une pièce à l’autre, que je me suis saisie du moindre prétexte. Comment ? Tu dis ? Oui, c’est ça, tu as raison. Oh, c’est pas vrai, tu es figée. Ah mais, je ne t’entends plus. Comment ? Je dis : je ne t’entends plus. Non, je… Écoute, je raccroche. Je dis : je raccroche, je te rappelle sur ton fixe.