Le masque

Oui, eh bien, tu diras à Mamie Janique que j’apprécie beaucoup, mais ça fait des années que je n’ai pas porté de rose et je n’ai absolument pas l’intention de revoir ma garde robe de fond en comble sous prétexte qu’elle n’a plus que ce coupon sous la main. Et tu peux me dire pourquoi ? Pourquoi Julien aurait le droit aux petits restes « plus masculins », pendant que moi, je devrais porter un truc à fleu-fleurs gnan-gnan ? Parce que je suis une fille ? C’est ce que tu es tentée de répondre, non ? Donc, soit tu penses que les filles sont plus gnan-gnan que les garçons, ou qu’en tout cas, elle le supporte mieux, soit tu es persuadée qu’elles ont un plus grand sens du sacrifice, et qu’elles sont prêtes à se rendre ridicules pour que leurs frères gardent la tête haute. Comment ? Mais oui, je ne remets pas ça en question, Mamie Janique est adorable, et tu la remercieras pour moi. Mais elle pourra donner ce masque à quelqu’un qui en apprécie la couleur. Et non, je ne fais pas la fine bouche, un masque est un masque mais si j’ai le choix… Mais bien sûr, je vais faire la queue à la pharmacie, à la supérette, devant les boutiques de tissus qui vendent des kits. Je ne te demande pas d’y aller pour moi, je ne vois pas en quoi ça te pose un problème. Oui, je sais coudre. C’est même toi qui m’as appris, je te rappelle. Je couds assez mal, c’est vrai, mais avec un bon tutoriel, et je peux te dire qu’on en trouve à profusion depuis quelques semaines, je devrais pouvoir m’en sortir. Non, tu ne le prends pas pour faire plaisir à mamie et le planquer au fond d’un tiroir parce que même toi, tu ne le porteras pas. Non, ce serait l’inciter à m’en refaire jusqu’à épuisement de son coupon, ça me mettrait très mal à l’aise. Non, laisse tomber, je vais le faire. Non, puisque je te le dis. Je raccroche et je l’appelle. Oui, je le fais, ce sera l’occasion de prendre de ses nouvelles.