Que jeunesse se passe

Il entre dans la cuisine en se balançant d’un pied sur l’autre, exécute un tour sur lui-même avant de s’immobiliser un court instant. Il repart en tanguant jusqu’à l’évier sans prêter attention à son père, attablé face à une grille de mots fléchés. Le jeune garçon se sert un verre d’eau tout en battant le rythme de la pointe du pied. Après en avoir bu quelques gorgées, il le pose et reprend son jeu de jambes en fredonnant un air disco. L’homme redresse la tête et relève ses lunettes sur le haut du crâne :
– Tu ne pourrais pas t’arrêter de gesticuler cinq minutes, tu me fatigues.
Le garçon le fixe avec un grand sourire et lui répond en redoublant ses balancements de hanches :
– Non, non, non. Si je m’arrête.. J’explose, je m’effondre… Je sais pas. Mais non, non. Faut que je bouge. Tu vois bien.
Le garçon se met à sautiller et lance quelques coups devant lui comme un boxeur à l’entrainement. L’homme se passe la main sur le visage.
– Oui, je comprends, mais ça fait une semaine que tu ne t’arrêtes jamais. Tout juste le temps de manger, et encore. Tu as les jambes qui sautent dans tous les sens sous la table. Je comprends, mais ça commence à me porter sur les nerfs.
L’adolescent reprend son balancement d’un pied sur l’autre en agitant la tête sur le côté.
– Ben ça va, je suis dans ma chambre la plupart du temps. Je vous dérange pas tant que ça. T’exagères.
– Je sais que tu fais des efforts, et je t’en remercie. Mais quand on est ensemble, tu ne pourrais pas faire des pauses ? Les pompes et tout ce qui s’en suit chaque soir devant le film, c’est perturbant, je t’assure. Tu n’as pas remarqué que depuis deux jours, ta mère ne tient pas au-delà du générique et court s’isoler dans notre chambre.
– Ah bon ? Mais je croyais que c’était parce qu’elle aimait mieux lire.
– Oui, elle aime lire, mais je crois qu’elle a déjà son quota dans la journée. Et puis ta sœur commence à t’imiter, ce qui me fait craindre le pire. Je te demande juste de te poser quand tu es avec nous. Le reste du temps, tu fais ce que tu veux, mais quand tu es avec nous… C’est possible ?
Le jeune garçon arrête progressivement ses mouvements. Il semble réfléchir intensément. Il s’assied près de son père.
– Tu fais quoi ?
– Des mots fléchés, tu veux essayer ?