Les vacances

Nous y sommes ! La différence n’est pas évidente, mais si on s’en tient au calendrier, nous sommes en vacances. J’ai entendu, il y a quelques jours, l’interview d’un psychologue qui expliquait qu’il est essentiel de profiter de cette période de congés, comme si on y était. Pour ça, il faut se mettre en condition. Je veux bien, je suis prête à tout essayer. Seulement, j’ai le sentiment que ça ne va pas être si simple dans la mesure où nous avions prévu de partir toute la semaine faire de la randonnée dans l’Aveyron. J’ai l’esprit ouvert, mais je ne vois pas bien comment on va réussir à se convaincre. Mais soyons inventifs. Nous pouvons commencer par faire nos sacs exactement comme si nous partions, en vérifiant bien la liste pour ne rien oublier. Demain, nous nous levons très tôt pour charger la voiture et nous y passons une bonne partie de la journée, en suivant la route sur la carte. Nous faisons, bien sûr, des pauses toutes les deux heures pour changer de conducteur. Le parking ne donne pas directement sur la rue, si personne ne nous dénonce, ça devrait pouvoir fonctionner. Le lendemain, nous démarrons la journée comme nous l’aurions fait. Nous enfilons un t-shirt et un pantalon confortables, des lunettes de soleil. Pourquoi pas ? Par contre, pour les blousons, les chaussures de marche, les sacs à dos avec le pique-nique, la gourde, la carte, le guide, les jumelles, l’appareil photo… Je ne suis pas persuadée de tenir plus de cinq minutes à tourner en rond dans l’appartement avec tout ça sur le dos. Ceci dit, nous pourrions faire quelques montées-descentes dans les escaliers. Sur 16 étages, nous aurions notre quota d’exercice physique quotidien. Je vois moins comment remplacer la partie changement de décor, grand air, nature… Tout ce béton sans fenêtres, j’ai peur que ce soit vite oppressant. Non, la randonnée, ça ne marche pas. D’un autre côté, nous pourrions revoir nos plans. Partir au bord de la mer. C’est vrai qu’il fait particulièrement beau, presque trop chaud. Ce serait plus simple de passer nos journées en maillots de bain, à écouter des enregistrements de vagues qui déferlent sur la plage, les pieds dans une bassine d’eau salée. Avec un bon stock de livres et de mots fléchés, nous devrions pouvoir tenir, non?

Bain de soleil

Elle serre les pots les uns contre les autres, la crassula près de l’oxalis. Le romarin est mal en point. Elle le pousse dans l’angle, derrière la verveine dont les premières feuilles sont d’un vert tendre. Elle les effleure de la main pour libérer cette odeur acidulée qu’elle aime tant. Elle bloque la porte avec le montant de la chaise longue qu’elle a tout juste la place de déplier. A peine deux mètres carrés de balcon, c’est exiguë, mais c’est déjà un petit bout d’extérieur. Elle se sait chanceuse. Elle s’installe, une tasse de tisane à la main. Les rayons de soleil de l’après-midi passent l’angle du mur pour venir lui mordre la peau. Elle inspire profondément, ferme les yeux. Ne seraient les quelques voitures qui circulent sur le boulevard et la sensation du béton sous ses pieds nus, elle pourrait se croire à la campagne. L’herbe haute lui chatouillerait les mollets à chaque mouvement que lui imprimerait la brise. A sa gauche, il y aurait un cerisier en fleurs, dont le parfum saturerait l’air. Un peu plus loin, un parterre d’aromatiques s’étendrait en pagaille. Le potager serait en attente des premiers semis. Un cabanon, peut-être, s’élèverait tout au fond du jardin. Ou bien non, une serre. Une serre ancienne aux montants métalliques. On y cultiverait des tomates, des poivrons, mais pour le moment, quelques plantes grasses se partageraient l’espace en attendant la saison. Au-delà, des champs à perte de vue, ou bien une forêt, peut-être des montagnes, l’océan ? Elle ne parvient pas à se décider.
Elle ouvre les yeux. La lumière l’éblouit. Ce qu’il fait chaud ! On se croirait sur une plage en plein été. Elle se demande même si elle n’est pas en train de prendre un coup de soleil. Ce serait un comble. Elle soupire en rentrant dans l’appartement. C’est quand même terrible de devoir s’enfermer par un temps pareil.

De visu

Allô ? Oui ? Allô, allô ! Ah, t’es là, je te vois. Comment ? Je te vois, mais je ne t’entends pas bien ? Je dis : je te vois mais je ne t’entends pas bien. Non, pas bien. Et toi ? Tu me vois ? Oui ? Ah, très bien. Et tu m’entends ? Comment ? Oui, bon. Je t’entends très mal, mais tu as bonne mine. C’est pratique, hein. Je dis, c’est pratique, de pouvoir s’appeler comme ça, de se voir. Comment ? Non, ça va. Je dis : ça va. Hum hum. Oui. Oui. Oh, tu sais, rien de spécial, la routine. Enfin, façon de parler. C’est mieux, là, non, je t’entends mieux. Je dis… Oui. Oui. Ah ! C’est agaçant, maintenant, je t’entends très bien, par contre tu es toute floue. Bon, ce n’est pas grave. Non, non. Je sors le moins possible, évidemment. Si, si, ce matin, ça faisait dix jours. Tu te rends compte, dix jours sans mettre le pied dehors. Eh oui, vous avez de la chance ! Oui, il faisait un temps magnifique, la rue était déserte. On n’entendait que le chant des oiseaux. C’était incroyable. Je suis allée jusqu’à l’épicerie. Oui, celle du quartier. J’y vais tellement rarement que je m’y suis perdue. J’ai déambulé d’un rayon à l’autre en revenant sans arrêt sur mes pas. Non, je crois surtout que je ne pouvais plus m’arrêter, ça faisait si longtemps que je n’avais pas marché pour aller ailleurs que d’une pièce à l’autre, que je me suis saisie du moindre prétexte. Comment ? Tu dis ? Oui, c’est ça, tu as raison. Oh, c’est pas vrai, tu es figée. Ah mais, je ne t’entends plus. Comment ? Je dis : je ne t’entends plus. Non, je… Écoute, je raccroche. Je dis : je raccroche, je te rappelle sur ton fixe.

La conquête spatiale

Elle se réveille en sursaut, s’assied au milieu du lit. Elle essaie de fixer les images qui s’agitent dans son esprit. Elle se voit dans une pièce immense, la lumière y est vive, changeante. Des tables encombrées de plats entamés, de verres vides, l’entourent. Des sons lui reviennent en mémoire, de la musique. Il doit s’agir d’une fête. Oui, elle se souvient maintenant, elle fête son départ mais avec des gens qu’elle ne reconnaît pas. Tous la félicitent, admiratifs, pourtant ce qu’elle ressent n’a rien à voir avec leur enthousiasme. Elle est perdue, apeurée. Elle sait qu’elle n’y arrivera pas. Elle se voit maintenant avec un casque sur la tête, regardant à travers une vitre l’immensité de l’espace. La lumière est aveuglante malgré l’opacité de l’horizon. Elle entend sa respiration se briser contre la visière. Un voile de buée s’y dépose. Elle est seule dans une capsule qui fait tout juste sa taille. Elle se sent oppressée. Un flot de pensées confuses l’envahit, cependant l’une d’elles fait surface, elle ne tiendra jamais. Elle croit se souvenir qu’à ce moment, elle s’est éveillée, elle a tiré la couette sur ses épaules. Puis elle s’est certainement rendormie. Elle pense qu’elle a continué à rêver sans qu’aucun souvenir précis ne lui revienne, un vague brouhaha. Ensuite, elle se voit dans une chambre, probablement la sienne. Sa mère l’encourage à se presser, sinon elle va rater le départ. A nouveau ce vol spatial. Elle parcourt la pièce du regard à la recherche de ses chaussures. Elle réalise alors qu’elle ne sait pas quelles chaussures mettre pour partir dans l’espace.

Cette idée la fait sourire. Elle se lève pour se diriger vers la cuisine, avale un verre d’eau. Elle ouvre la fenêtre, une brise légère mais glaciale glisse sur son visage. Le ciel est noir, sans étoiles.

Absence

Il entre dans la chambre. Il ne sait plus très bien ce qu’il est venu y faire. Il parcourt la pièce des yeux. Aucun des objets qui s’y trouvent ne l’aide à se remémorer ce qui l’a poussé à venir ici. Il s’assied un moment sur le lit. Il se concentre sur ce qu’il était en train de faire un peu plus tôt, dans l’espoir de retrouver le fil de ses pensées. Il lisait. Il avait senti la fatigue l’envahir, ses yeux se brouillaient. Il avait peut-être pensé aller s’allonger un peu. Il n’en est pas convaincu. Il pouvait très bien s’étendre un moment sur le canapé, comme cela lui arrive de plus en plus souvent ces derniers jours. Il se lève sans conviction pour repartir vers le salon, lentement. Le livre est posé sur la table basse, ouvert à la page qu’il a abandonnée. Il s’assied dans le fauteuil et l’attrape pour parcourir rapidement les dernières lignes. Aucun indice, ici non plus. C’est probablement sans importance, mais il ne réussit pas à passer à autre chose. Il se lève pour s’avancer vers la fenêtre. La rue est déserte. Un oiseau se pose sur le réverbère d’en face. Il reprend sa déambulation et traverse la cuisine, emprunte le couloir. Il ouvre la porte de la salle de bain pour la refermer aussitôt. Il entre à nouveau dans la chambre. Il cherchait certainement à s’étendre plus confortablement que sur le canapé. Non, vraiment, il n’en est pas du tout convaincu. Il se penche pour regarder sous l’armoire. Rien. Il se dirige vers le dessous du lit, sans se redresser. Il aperçoit dans l’ombre une forme qu’il ne parvient pas à distinguer. Il se met à plat ventre et réussit en étirant le bras aussi loin qu’il le peut à attraper le mystérieux objet. Il le ramène vers lui. C’est curieux, un cycliste en plastique. Il ne pense pas l’avoir déjà vu, alors il ne voit vraiment pas comment il a atterri ici. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas ce qu’il était venu chercher. En retirant la poussière qui enveloppe le jouet, il se souvient de ce qu’il voulait, une carte de la région. Il s’était dit que ça le ferait s’évader un peu de parcourir du doigt les routes en lisant les noms de villes et de villages. Il quitte la chambre, le cycliste serré au creux de la main. Les cartes sont rangées dans le bureau.

La supérette

Eh bien, je me propose d’arroser ça quand même. Je me serais bien offert un petit verre de vin, mais pour ça, il aurait fallu faire des courses. Je vais devoir me contenter de ce fond de porto éventé, déniché au fond d’un placard. Quand j’ai vu le monde à la supérette, je n’ai pas pu. J’étais motivée pourtant, j’avais des gants, je m’étais cousu un masque avec des restes de tissus et deux bouts de ficelle. C’est sûr, je ne ressemblais à rien mais j’avais un peu l’illusion que je pouvais sortir l’esprit tranquille. Seulement, d’emblée, c’est parti de travers. J’avais l’impression d’être concentrée, pourtant au moment d’appeler l’ascenseur, j’ai réalisé que mes gants étaient bêtement restés dans mes poches et que je venais d’appuyer sur le bouton d’appel avec le doigt nu. Je n’ai pas voulu paniquer, je savais que ça ne représentait pas un gros risque, mais je ne pouvais pas partir comme ça. Je suis rentrée chez moi pour me laver les mains, j’ai enfilé mes gants et je suis sortie à nouveau. Une fois dans la rue, j’ai pris cinq minutes pour respirer le soleil. Ça m’a fait un bien fou. Je serais bien restée là plus longtemps, mais j’ai senti que les deux trois personnes qui étaient entrées dans l’immeuble dans ce laps de temps, m’avaient regardée de travers. Je me suis donc élancée dans la rue. A l’intersection avec le boulevard, j’ai aperçu un homme qui venait dans ma direction. Je me suis sentie un peu bête, mais j’ai changé de trottoir. J’ai accéléré le pas. Arrivée devant le magasin, j’ai été rassurée de voir qu’il n’y avait pas la queue, mais une fois les portes coulissantes passées, je n’ai pas pu. Je les voyais déambuler dans les allées, certains prenant d’infinies précautions, d’autres ne se souciant que d’eux même. Je n’ai pas pu. J’ai rebroussé chemin. Allez, santé ! Et bon anniversaire !

Ça ira mieux

Elle ouvre les yeux dans l’obscurité. Elle se tourne instinctivement vers le cadran lumineux : 5:30. Comme tous les matins, ces 20 dernières années, quel que soit le jour de la semaine, la saison, elle se réveille précisément à cette heure, sans raison particulière. Mais aujourd’hui, contrairement à son habitude, elle ne se lève pas. Son regard s’habitue doucement à la pénombre. Elle distingue les contours de la grande armoire en bois qui avait appartenu à une tante de son père. A l’intérieur, les piles de vêtements sont bien ordonnées, elle le sait, elle a passé un long moment à tout réorganiser la veille. Elle avait commencé un classement par couleur, pour changer, avant de revenir à un tri plus classique, par type de vêtements. Elle aurait aimé un rangement moins terre à terre, mais il avait le mérite d’être fonctionnel. Dans les deux grands tiroirs en bas, il y a les chaussures d’hiver. Elle essaie de les visualiser, de se souvenir l’ordre dans lequel les paires sont placées. Elle doit faire travailler sa mémoire, sans quoi tout lui échappe. Les bottines noires à gauche, les chaussures confortables pour la marche ensuite… Ses yeux glissent sur la tapisserie, le même accroc, au même endroit, la fait tiquer une nouvelle fois. Elle aurait dû tout arracher il y a bien longtemps pour donner un bon coup de peinture, mais elle n’a jamais su se décider pour la couleur. Elle continue son inspection par la commode. Elle ferait bien de se débarrasser de ces bibelots, ces ramasse-poussière qu’elle ne regarde même plus. Il suffirait de les glisser dans un carton, qu’elle déposerait sur le palier. Le jeune homme d’en face s’en chargerait. Il est gentil, le jeune homme d’en face. Mais pas aujourd’hui. Il faudra attendre. Elle va attendre. La porte de sa chambre est entrouverte. Elle aperçoit le sol du couloir, un pan de mur. Elle imagine le reste de l’appartement. Contrairement à son habitude, elle ne va pas se lever pour faire sa toilette et s’habiller. Elle ne se dirigera pas vers la cuisine pour se préparer un petit déjeuner copieux. Elle n’allumera pas la radio pour écouter cette émission qu’elle aime tant. Elle va attendre, ça ira peut-être mieux demain.

Tour d’ivoire

C’est moche une tour, on ne peut pas dire. Même quand ça se veut le fleuron de l’architecture moderne, c’est laid. Alors oui, puissance, prouesses techniques, blablabla. Je sais, la plus grande construction du monde fait plus de 7 fois la taille de l’arbre le plus élevé qui existe. Parfait, on fait pipi plus haut, mais c’est moche, un point c’est tout. A dimension égale, un arbre aurait certainement bien plus d’allure, avec une envergure incroyable. Parce que la nature, elle n’entasse pas des dizaines de milliers de nids dans ses étages, elle ne cloisonne pas, elle ouvre. Parce qu’on se marche quand même les uns sur les autres, entassés sur nos quelques bouts de kilomètres carrés, il ne faut pas l’oublier. En ce moment, c’est pire que tout. Je les sens, tous, au dessus. Quand je suis trop oppressé, j’ouvre la fenêtre pour respirer à fond. Pourtant, ça ne change rien, il y a ceux d’en face qui me bouchent l’horizon. J’étouffe.

Je fais souvent le malin quand l’ascenseur est en panne et que je croise les voisins qui montent au 10ème, au 13ème, voire pire. Je me souviens de ce couple qui partait en vacances que j’avais regardé faire une bonne dizaine d’allers-retours les bras chargés de sacs, de matériel de camping. Pour être tout à fait honnête, je dois avouer que ça m’avait fait marrer. Je m’étais même dit que ça leur faisait les pieds. Je crois que j’étais un peu aigri, je ne partais pas cet été là. J’étais content de moi, avec mes deux étages que je montais par l’escalier plusieurs fois par jour. Je me prenais pour un grand sportif. Mais là, je crois que je donnerais tout pour habiter au dernier étage, même sans ascenseur. Voir loin, c’est tout ce que je demande.

Dix mille pas

Tu peux me croire, si tu fais quelques recherches sur internet, c’est sans appel : dix mille ! Tu dois faire dix mille pas par jour minimum pour rester en bonne santé. Tu m’entends ? Alors franchement, il va falloir que tu t’y mettes, et sérieusement. C’est pas tes allers-retours frigo-canapé qui vont faire exploser ton score. Regarde toi, ça ne peut pas durer comme ça. T’es en train de te transformer en baleine dépressive. Non, vraiment, il va falloir que tu t’y mettes, et rapidement. Quoi ? Comment ? C’est simple, j’ai fait le compte, si tu marches dans l’appartement en circulant au maximum dans chaque pièce, tu dois pouvoir faire une centaine de pas par tour. Ce qui nous amène à cent tours d’appartement par jour. Ok, ok, je te vois venir, cent tours d’appartement, c’est totalement absurde ! Oui, oui, très bien, je suis d’accord. J’ai tenté le coup et je me suis arrêté au bout de trois. Je ne vais pas te mentir, ça rend con. Mais j’essaie, au moins ! Tu as une meilleure idée, peut-être ? Quoi ? Marcher sur place ? Très bien. Là, tu veux dire que pendant que je te parle, je fais des pas, comme ça : une, deux, une… Je marche sur place. Et toi tu trouves ça mieux ? Là, tu me dis, en me regardant droit dans les yeux, que c’est moins ridicule ?

L’homme approche son visage à quelques centimètres du miroir. Il fronce les sourcils face à son reflet, tout en continuant à lever une jambe après l’autre. Il accélère le rythme petit à petit. Je peux courir aussi. On va gagner du temps, non ? C’est plus dynamique, on peut en faire moins. Disons cinq mille, ça te va ? Tu comptes ou c’est moi qui le fais ? J’en suis à quoi, là, 50 ? Il accélère encore. 51, 52, 53. Le souffle commence à lui manquer. Il s’arrête. Il se jette un dernier regard avant de quitter la pièce. Je crois que je t’ai assez vu pour aujourd’hui. Fais comme tu veux, moi je vais bouquiner.

L’ascenseur

Une pluie de postillons s’abat sur elle. En temps normal, le dégoût se serait suffit à lui-même, mais s’y ajoute aujourd’hui une pointe de terreur qui vient se ficher droit dans sa poitrine. L’homme éructe sans discontinuer alors qu’elle essaie tant bien que mal de se protéger le visage. Plus que deux étages. Elle n’aurait jamais pensé que quelqu’un ait l’idée de monter dans ce fichu ascenseur en même temps qu’elle. Quand il s’était arrêté au 9ème étage, que la porte s’était ouverte sur ce grand type au regard vague, elle s’était attendue à ce qu’il le laisse repartir pour attendre le passage suivant. Mais il s’était avancé sans lui prêter la moindre attention. Elle s’était recroquevillée dans le fond de la cabine, en retenant son souffle. Au bout de quelques instants, elle avait dû laisser l’air s’échapper. Le va-et-vient avait repris dans ses narines, mais elle avait fait bien attention de garder les lèvres serrées. C’est alors que le fond de sa gorge s’était mis à la démanger. Sa salive râpait contre la paroi de son pharynx. Elle n’avait pu retenir une toux qui lui était remontée par le nez. Elle ne s’y était pas préparée. Elle n’avait… L’homme s’était tourné vers elle, les yeux furibonds. « Votre coude… Vous n’écoutez pas la radio ? Ou cette satanée télé ? Tout le monde est devant sa télé sauf vous ? Votre coude ! C’est un minimum… ». Les mots se déversent de sa bouche. Rez-de-chaussée. L’homme quitte l’ascenseur en haussant les épaules de dépit, « Les gens, vraiment !». Elle attrape son écharpe, s’essuie le visage, le cou, les mains. Elle appuie sur le bouton qui la fera remonter chez elle. A cet instant précis, elle ne pense qu’à se précipiter sous la douche. Elle ne sortira pas aujourd’hui.